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Manchette - La position du tireur couché

un

 

Martin Terrier n'est pas un fin renard

 

Sixième station de la ligne Manchette sur

le calend'art de Panik... 

 

L'une des deux plus belles amorces de polar :"C’était l’hiver et il faisait nuit. Arrivant directement de l’Arctique, un vent glacé s’engouffrait dans la mer d’Irlande, balayait Liverpool, filait à travers la plaine du Cheshire (où les chats couchaient frileusement les oreilles en l’entendant ronfler dans la cheminée) et, par-delà la glace baissée, venait frapper les yeux de l’homme assis dans le petit fourgon Bedford."

 

VENDREDI 6 MAI 1977

Projet de thriller, prendre la structure classique du tueur fatigué qui lâche le métier et qui (1°) découvre que la vie civile est médiocre, (2°) est poursuivi par son passé, (3°) revient à la vie active et se fait tuer en combattant parce qu’il préfère ça, somme toute. Peut-être relier cette structure aux considérations genre malaise des cadres, le cadre étant en l’occurrence un tueur. Utiliser aussi la structure de l’aventurier qui revient au pays chercher sa promise ; elle ne l’a pas attendu et en a épousé un autre ; il est beaucoup plus fort que cet autre, il entreprend de regagner sa promise. Le personnage serait un type pas vieux (38 ans, par exemple). Il aurait mis assez d’argent de côté pour vivre de ses rentes. Mais sa fortune serait balayée en une nuit par une faillite, de sorte que ce serait le coup final qui le ferait retourner au charbon.

 

MARDI 10 MAI 1977

Travail à l’histoire du tueur las. Atteint la page 33. Ça ne gaze pas mal. Je ne suis pas certain de pouvoir porter un jugement sur un polar ordinaire – et c’est ce que je suis en train d’écrire. Au moins je verrai bien si j’en suis capable.

 

MARDI 24 MAI 1977

J’ai fait jusqu’ici 20 pages de CETTE FROIDE NUIT, qui prend une tournure bizarre et est écrit de façon fantaisiste, anti-chronologique et dans un style assez éclaté (mélange de la lre et la 3e personne notamment). Encore un dont la Série Noire ne voudra pas, si je le finis. Qu’ils aillent se faire foutre ! Ils m’ont troublé, avec leur refus de LA BELLE DAME, au point que j’étais en train de faire de l’histoire du tueur las quelque chose de tout à fait inintéressant, d’une banalité complète. Je la reprendrai sans doute. Mais pour l’instant, je crois qu’il me faut travailler contre eux, contre leur goût, si je veux me sortir du malaise qu’ils m’ont causé. À l’attaque ! À l’attaque ! Le temps presse !

 

LUNDI 28 AOÛT 1978

À propos d’écriture, j’ai quelque peu patouillé dans les quelques pages que j’ai réussi à écrire ici de LA POSITION DU TIREUR COUCHÉ ; mais je pense que c’est rattrapable assez commodément. Tout le passage du « retour au pays » du héros est flottant parce que : a) mes idées étaient assez mouvantes sur les positions (moments) que représentent la femme aimée, son mari, etc. Par conséquent, les contacts entre le héros et eux sont flottants, exploratoires ; aucune attitude tranchée ne s’exprime (car j’attendais en quelque sorte que l’idée m’en vienne à mesure que j’écrivais les scènes) ; au contraire les scènes traînent dans le flou, puis s’achèvent abruptement parce qu’elles ont trop duré. Et : b) non seulement l’action fléchit, occupé que je suis à dialoguer dans le flou, mais également la présentation des personnages est floue, il manque absolument ces traits tranchés et ces tics des personnages qui permettent aux personnages d’être situés et vus tout de suite de façon éclatante dans les bons polars.

Ces manquements peuvent être corrigés avec une pensée ferme et grâce au fait que le temps mort dans l’action est en tout cas court (et d’ailleurs égayé par l’affaire du chat éventré). Quant aux idées, je pense maintenant que la femme (Xavière) doit représenter l’Ennui résigné (alcoolisme calme et lent) face à l’esprit d’entreprise et d’espérance bornée de Martin ; et le mari, qui a éprouvé la réussite bornée (il a eu Xavière et l’argent), et qui en a éprouvé l’insuffisance, refuse de s’élever à la connaissance de cette insuffisance dans sa généralité, mais se jette à la poursuite de nouveaux objectifs, dérisoires et autodestructeurs. Il pourrait être engagé par exemple dans une spéculation frénétique, et particulièrement dans une opération spéculative lui permettant (si elle réussissait) de s’assouvir sur un nouveau plan (par exemple il s’apprête à s’auto-éditer). Ou bien son entreprise autodestructrice peut être bien plus dérisoire : il peut par exemple être devenu un maniaque de la bouffe (et un obèse), ou un maniaque de la politique, ou du sport, ou de la pensée spéculative.

 

VENDREDI 1er SEPTEMBRE 1978

Dans LA POSITION DU TIREUR COUCHÉ tel qu’il se présente actuellement, le problème est qu’à vouloir représenter le blocage émotionnel du personnage central par une absence presque complète de réactions, j’ai obtenu un personnage qui n’existe pas suffisamment. C’est aisément réparable. Il faut me défier de cela, dont FATALE était près de souffrir. L’ellipse telle que je l’aime, l’ellipse émotionnelle (réactions sans cause apparente, ou bien causes sans réactions apparentes), peut devenir une facilité snob si l’écrivain ne sait pas très précisément ce qui se cache derrière et s’il laisse le lecteur apporter son manger.

Un peu de repos, puis travaillé à LA POSITION DU TIREUR COUCHÉ, que je me propose de passer en feuilleton dans Hara Kiri car MARIE IMMACULÉE m’ennuie. Fait environ 20 000 signes, soit largement la dose mensuelle à passer dans Hara Kiri, et environ le 12e ou le 15e d’un roman de taille raisonnable. J’essaie d’écrire d’une manière hyper béhavioriste, très dense, assez rapide, et de préférence très rapide – c’est-à-dire d’une manière néoclassique. À la limite, j’envisage de relire Hadley Chase pour voir comment fonctionne un bon ersatz. Pour l’instant, je me contente de relire les nouvelles de Chandler. Je veux aller contre mon texte précédent (FATALE) par la multitude des péripéties et la rapidité d’une narration prosaïque. De même je veux aller contre le néo-polar en faisant ici quelque chose ni politique ni culturel, stylistiquement archaïque. Dans cette perspective, je suis satisfait de ces premiers 20 000 signes. S’ils ont pu s’écrire dans la demi-journée, c’est aussi que je disposais d’une version préexistante qui était déjà tirée d’un brouillon antérieur. Je crois avoir près de 80 000 ou 100 000 signes qui sont ainsi bien préparés. Ensuite, ce sera une autre paire de manches. Mais d’autre part je suis très intéressé par une écriture à long terme (20 000 signes par mois), et dont chaque tranche mensuelle doit être compliquée, dense, violente et palpitante, et rebondir. Nous verrons.

Extrait du Journal de Manchette

 

LE POINT DE VUE D'UN GRAND DU POLARD : MARC VILLARD SUR SON SITE

 

"Martin Terrier, tueur sans états d’âme, décide de raccrocher. Son employeur s’y oppose, bien entendu. Voilà l’intrigue. Ce qui en découle ne varie guère du thème central, un classique du genre noir.

Manchette nous propose donc un héros au destin individuel, qui ressemble assez au parcours d’un héros de droite. Sa nana, son fric, son rêve d’ile isolée encore vierge de pollutions politiques et autres.

Mais c’est en adolescent que Terrier envisage sa retraite car il revient chercher dix ans plus tard la jeune fille qu’il s’était promis de ramener dans ses filets. On assiste donc à une régression, centrée sur le passé avant la mort en série, quand le mot amour voulait dire toujours. La société des hommes ne concerne plus Martin.

Mais ce sont les hommes qui lui expliqueront la manipulation dont il a fait l’objet et, à cause de ces mêmes hommes, il terminera serveur dans une brasserie de merde. The dream is over. Cette fin de course ne débouche sur rien, ce qui peut gêner certains.

Manchette, dans cet ouvrage, cite ses précédents livres -notamment le petit bleu- mais fait preuve d’une maitrise totale de la langue. Le style est sec, comportementaliste, avec parfois des échappées affectées que Jean Pat nous glisse en guise de clin d’oeil. On ne dira jamais assez que cette écriture, belle, implacable et, parfois, facétieuse reste ce que le polar français a produit de plus abouti. On ne voit guère, au plan du style, que James Ellroy à lui opposer sur la scène polar. Notons au passage que Manchette, qui peine toujours à installer des histoires d’amour, s’en sort plutôt bien, cette fois-ci.

 

Le livre avec une belle couv' de chez Carré Noir

 

 

 

 

 



24/12/2012
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