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Mo Yan - Grenouilles

 

 

 

Un têtard, ça va, deux, bonjour les dégâts!

 

« Pourquoi les mots “bébé” et “grenouille” se prononcent-ils de la même façon ? Pourquoi le cri que pousse un nouveau né au sortir du ventre de sa mère est-il tout a fait semblable au croassement d’une grenouille ? Pourquoi le premier ancêtre de l’humanité s’appelle t-il Nuwa ? Cette homophonie montre bien que le premier ancêtre était une grosse grenouille, que l’homme descend donc de la grenouille. »

Les grenouilles vivantes ou rêvées sont un personnage important, comme très souvent les animaux chez Mo Yan. La grenouille est un symbole de fertilité dans nombre de régions ; beaucoup ne mangent pas de grenouilles « car ce sont des amies du genre humain… Elles abritent un parasite… ceux qui en mangent peuvent devenir idiots » Suivez mon regard vers… l' UMB : Union des mangeurs de batraciens.

 

Mo Yan consacre « Grenouilles », à sa tante de 77 ans qui a aidé à le mettre au monde – comme 9 983 autres bébés – et qui, mi-ange mi-démon, a été aussi la responsable locale de la politique de contrôle des naissances. À ce titre, elle a pratiqué des milliers d’avortements.

 

Le contrôle des naissances est un thème qui touche de près Mo Yan ; il regrette de n’avoir qu’une fille et considère qu’il n’est pas bon pour elle d’avoir été enfant unique. « Cette politique a été une nécessité inévitable pour la Chine, mais seul un régime totalitaire a été en mesure de l’imposer et les excès ne sont pas acceptables. »

 

Souvent chez Mo Yan, les mères sont le personnage central ; ici, c’est une femme sans enfants. Le père de Wan était médecin dans la huitième armée pendant la guerre contre le Japon et était recherché par le commandant japonais Sugitani, père de l’ami japonais de Têtard (un nom de plume que porte le narrateur du livre).

La tante, après ses études, sécurise les accouchements dans la région et élimine brutalement les « vieilles matrones » traditionnelles ; elle devient alors une héroïne locale.

Ses rapports avec les hommes ne sont pas très heureux ; son fiancé, un beau pilote, la trouve « trop révolutionnaire, trop sérieuse… elle manquait de piquant » ; ce traître rejoindra bientôt Taïwan. Elle refuse d’épouser plus tard Yang Lin, le secrétaire du Parti, un mari pourtant enviable…

Le Parti est sa famille, elle y entre en 1955. En général, le Parti communiste est occulté dans les livres de Mo Yan, ici on en parle ; la tante comme le narrateur, Têtard, son neveu, militaire puis auteur de pièces de théâtre, en sont membres.

À partir de 1965, le Parti est le fer de lance de la politique de contrôle des naissances :

« Un ce n’est pas peu, deux c’est ce qu’il faut, trois c’est un de trop. »

La tante devient chef de guerre, elle pratique 2 000 avortements, impose stérilets, vasectomies et ligatures des trompes et entretient des espions pour connaître les grossesses non autorisées.

Des tracteurs sont là pour détruire des maisons à titre de représailles, ou un bateau pour poursuivre les fugitifs. Des femmes en fuite se noient, d’autres, comme la première femme de Têtard, décèdent lors d’un avortement.

Le drame de ne pas avoir d’héritier mâle est pour ces paysans inacceptable :

« C’est vraiment bizarre, quand une femme accouche d’une fille, le mari a une tronche, mais une tronche ! Alors que si sa vache met bas une génisse, sa bouche se fend d’un large sourire. »

 

Les grenouilles poursuivent la tante dans ses rêves, elle défaille quand elle en voit une. « Coassements de grenouilles sont pleurs qui résonnent », et ces pleurs sont les plaintes d’accusation de milliers de nouveau-nés supprimés.

Un long travail de deuil : son éternel soupirant Qin He et son mari, épousé sur le tard, Hao les grandes mains, sont bien connus pour leur talent de sculpteurs de bébés en argile, des ex-voto expiatoires pour la tante, achetés par les femmes en mal d’enfant.

Dans la région, une société d’élevage de grenouilles sert en fait de couverture à une activité de recrutement et de commercialisation de mères porteuses. Le corps est une marchandise et la maternité un métier. Ici, la femme a été défigurée dans l’incendie d’une usine et inséminée pour financer les frais médicaux de son père accidenté et sans protection sociale.

 

Comme souvent, Mo Yan flirte avec la ligne jaune en évitant de la franchir. Ainsi il ne parle pas des meurtres de filles nouveau-nées. Reste un livre superbe, qui nous dresse une fois encore le portrait d'une Chine maoïste qui se passerait bien volontiers des joyeusetés du enième plan quinquennal... Qui souffrirait allègrement d'un grand vent de démocratie. Ce système qui est le pire. À l'exception des autres. Bien sûr. 

 

Le pavé dans la mare ! 



24/11/2012
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