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Hilsenrath - Le Nazi et le Barbier

 

 

Hilsenrath, ce n’est pas de la « littérature couilles molles »

Voilà un livre qui a défrisé les Fridolins : Le Nazi et le Barbier, d'Edgar Hilsenrath... Paru une première fois en français chez Fayard et passé inaperçu, un éditeur comme on les aime, Attila pour ne pas le nommer, a retraduit Der Nazi und Der Friseur, et dans la foulée, entreprend de publier tous les autres livres d'Hilsenrath. Pour vous convaincre qu'il s'agit là d'un très grand livre ni rasoir ni sentencieux, mais rabelaisien, truculent et jouissif, lisez la postface de l'un des deux traducteurs :

LES JOYEUX BOURREAUX

Imaginons un auteur français vivant aux États-Unis, qui écrit en français, et dont un roman traduit en anglais devient un succès critique et un bestseller dépassant au bout d’un an le million d’exemplaires vendus. Peut-on imaginer un instant qu’un tel livre ne trouve pas d’éditeur en France ? Pourtant, c’est ce qui est arrivé à l’Allemand Edgar Hilsenrath.

Le Nazi et le Barbier est le deuxième roman de Hilsenrath, écrit en 1968-1969 à Munich et à New York – en allemand – pour le compte de l’éditeur new-yorkais Doubleday & Company. C’est cet éditeur qui, en 1966, avait eu le flair de publier la traduction américaine de son premier roman, Nacht : en Allemagne, après avoir saboté la sortie suite à une polémique interne, son éditeur, Kindler, avait bloqué les droits pendant des années.

Contre toute attente Night, roman monumental d’une noirceur oppressante, pavé de plus de mille pages qui d’une manière ultra-réaliste décrit la lutte pour la survie des Juifs enfermés dans un ghetto en Ukraine, avait déjà été un succès, Doubleday demande alors à l’auteur allemand, rescapé de la Shoah et « censuré » dans son propre pays, de lui soumettre un nouveau projet. Ce qu’il reçoit paraît insensé : une satire sur le nazisme, l’Holocauste et la fondation d’Israël, écrite du point de vue du bourreau. Intrigué, il demande un synopsis. Hilsenrath se met au travail, et fait traduire son projet. Stupéfait, l’éditeur américain ne dit qu’un seul mot (« Vendu ! »), et lui verse une avance de 5 000 dollars. Ken McCormick, l’éditeur en question, devait sentir que l’auteur du bouleversant Nacht pouvait réussir cette entreprise vertigineuse : une farce où le joyeux bourreau se mue en sioniste convaincu, prêt à mourir pour Israël.

Hilsenrath pense au départ à un roman épistolaire, forme qu’il abandonne finalement. De ce projet subsiste le prologue, que nous avons choisi de faire figurer dans les pages suivantes. Il montre que l’idée du roman est venue à l’auteur par l’actualité : la guerre des Six Jours, le moment où le peuple juif reprend les armes, venait de marquer les esprits. Il montre ensuite une dernière « métamorphose » de Max Schulz : l’enfant battu, l’adolescent bourreau de rats, l’adulte génocidaire veut sur ses vieux jours repartir au combat… pour défendre Israël, au côté des victimes qui désormais ne se laissent plus faire. Et pour finir, cet échange délirant entre un ancien nazi, vrai-faux Juif, et un général de l’armée israélienne montre à quel point la verve satirique de Hilsenrath aime jouer avec les extrêmes. Et la réussite du Nazi et le Barbier passe justement par cette extraordinaire liberté de ton et de forme.

Après le succès de ses deux premiers livres, Edgar Hilsenrath est donc, au début des années 70, un auteur confirmé, traduit en plusieurs langues. Et en Allemagne ? Rien. Plus de soixante éditeurs ont été contactés, mais Der Nazi und der Friseur n’est publié qu’en 1977, chez un tout petit éditeur, Helmut Braun. Polémique et succès immédiats.

Que pendant des années aucun éditeur, grand ou petit, n’ait jugé le livre digne de publication après un tel succès commercial et critique à l’étranger n’est pas anodin. La réaction des Allemands pourrait se résumer ainsi : « Pas comme ça, Monsieur Hilsenrath, pas comme ça ! Ce n’est pas comme ça qu’on doit parler de l’Holocauste ! » Interdiction absolue d’avoir recours à la satire, fût-elle grinçante de noirceur. À sa parution, on entend fuser des mots comme « cochonnerie », « obscénité » voire « pornographie ». Comme au bon vieux temps est-on tenté de dire. Ne manque plus qu’« art dégénéré ». Ce n’est pas l’image des nazis qui blesse : les Allemands refusent qu’un Juif parle ainsi, avec ironie et humour noir… des Juifs. La génération des fils et filles des bourreaux s’arrogeait le droit de dire comment une victime de la Shoah (n’oublions pas qu’Hilsenrath est un survivant d’un ghetto en Ukraine) doit parler de son histoire, comment elle doit parler des siens. Un comble.

Mais pour Hilsenrath, le philosémistisme bon enfant qui dominait en Allemagne dans la génération d’après-guerre n’est qu’un antisémitisme à l’envers. Un mensonge. Il a fallu une critique très favorable dans l’hebdomadaire Der Spiegel ainsi qu’un article de Heinrich Böll dans Die Zeit – où est fermement rejetée l’accusation de pornographie sur le dos de la Shoah – pour que les esprits se calment. Le livre se vendit bien, un long-seller. 250 000 exemplaires… sur les dix premières années.

Maxim Biller, écrivain juif allemand d’une autre génération (il est né en 1960), s’insurge dans son remarquable recueil d’articles, d’essais et de nouvelles Le Livre d’allemand contre la littérature allemande d’après-guerre, lui reprochant son ton larmoyant : toujours des récits de pauvres soldats allemands, si sensibles et finalement bon bougres, obligés, malgré eux, à participer à la solution finale… Il la qualifie de « littérature couilles molles » et y voit plus de compassion pour les assassins que pour les victimes :

« Je ne me rappelle aucun passage d’un roman allemand où l’on décrit un soldat allemand comme un homme qui agit de son plein gré, comme un criminel, comme un assassin. Chez aucun des auteurs allemands d’après-guerre je n’ai pu lire : “Oui, j’ai tué, oui j’ai aidé à faire tuer, oui j’ai coupé la barbe aux Juifs en m’esclaffant, oui, j’ai exécuté des résistants, oui je me suis couché dans des lits qui n’étaient pas à moi !” [Les soldats] sont au milieu de l’action et même temps si loin. Tous des guerriers malgré eux. (…) Avec la guerre, le mensonge a pris sa place dans notre littérature (…) Je ne vois aucun livre allemand sur la guerre qui soit honnête, car s’il y en avait un, il aurait automatiquement sa place dans la littérature mondiale. »

Brisant un tabou, Edgar Hilsenrath s’est permis d’écrire l’histoire d’un bourreau qui tuait en ricanant. À sa manière, avec un humour féroce et une langue ébouriffante. Sûr, Le Nazi et le Barbier, ce n’est pas de la « littérature couilles molles ».

Jorg Stickan

Berlin, janvier 2010

 Le site de l'éditeur : là où passe Attila, la littérature pousse, repousse et refleurit... On y trouve Ludwig Hohl, Louis Wolfson, Jean-Paul Clébert entre autres.

 Une interview d'Hilsenrath sur Arte 

 

Reparu en collection de poche, (Points Seuil), Panik a préféré e-bouqué la belle maquette de THÉO DELAMBRE, lettrines, première ligne de chaque chapitre d'une autre police, etc... du travail d'orfèvre qui m'a valu quelques très riches heures de boulot. Seule différence, la première ligne d'un livre papier est figée, celle d'un epub est tributaire de la taille des caractères que vous avez choisi sur votre liseuse. Et enfin, comme de bien entendu, les possesseurs d'un Ipad sont un peu spoliés puisque l'engin ne lis que les polices choisies par Appleuh. Sorry, poor Ipadien...

 

 

Mieux que les Bienveillantes, les Malveillants! 

 

 

 

 



03/11/2012
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