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Melville - Moby Dick

Attention chef-d’œuvre !

 

Comment présenter Moby Dick, ce livre tellement connu et si peu lu ? Certes cette question se pose à chaque livre mais à l’instar de ceux de Joyce, Pynchon, Gass, Gaddis et consort… la question devient bien plus ardue et la réponse quasi insurmontable, car aborder ces ouvrages nécessiteraient des longueurs interprétatives, critiques interminables digne de pensums soporifiques que sont les thèses. Complexe dans sa structure, riche dans son déploiement narratif, l’ouvrage est lourd, dense, parfois étrangement composé mais Moby Dick est bien plus qu’un livre. Comme le dit Melville, c’est un livre « malin » (wicked : retors, pervers) mais quel livre. Roboratif, gargantuesque, un livre-univers. Un livre empli d’obsessions : celle d’Achab pour Moby Dick, celle du narrateur pour les cétacés, celle de Quiequeg pour voir le monde, celle des membres du Rachel cherchant ses improbables survivants…

Dès la première ligne du premier chapitre, le lecteur attentif et connaisseur saura le drame qui s’est noué : Moby Dick est un livre tragique. Le narrateur, appelons-le donc Ismahel (choix graphique de Guerne), jeune instituteur, part pour une chasse à la baleine, afin de parcourir le monde et ses mers. Homme-découvreur, voyageur de son temps, décortique chaque chose, tel un Hérodote aux prétentions scientifiques (parfois terriblement risible comme son traité de cétologie), afin d’en tirer une leçon d’humanité. Donc livre humain, superbement humain : quand Melville conte l’amitié entre Ismaël et Quiequeg, c’est aussi fort, puissant et magnifique que l’amitié analysée par un Montaigne (Livre I, ch. 27). Raconter que Moby Dick est un livre sur la chasse à la baleine c’est de l’ordre de l’extrême réduction ridicule, c’est éluder toutes les dimensions explorées par l’auteur. Ainsi, dès les premières pages, le lecteur se sentira désorienté : avec Étymologie et citations, le lecteur est plongé dans un univers plus encyclopédique que romanesque. Encore une fois, Melville nous piège, l’obsession du narrateur n’est que le flagrant échec de son obsession sur la connaissance d’un univers complètement différent, qui lui échappe, mais par-dessus tout l’échec de sa compréhension du futur drame.

Alors Moby Dick, wicked ? oh oui ; Melville est un sacré génie : jonglant avec tous les styles du pittoresque au symbolique en passant par le biblique (que penser de cette impressionnante, époustouflante fin ? l’obsession autour de Jonas), le grandiloquent (comme le sublime Symphonie : « ô capitaine, mon capitaine », superbe supplique de Starbuck), le mythologique (comment ne pas voir dans le fondoir un Héphaïstos ?), le burlesque (les deux armateurs Peleg et Bildad, deux clowns !). Il joue avec le lecteur, le trainant en longueur et en digression, cassant la narration : toute chose apparait aux yeux d’une importance capitale pour comprendre et le dénouement, et l’univers de la mer. Comme nous l’avons dit, cet amoncellement est un échec : « Non je ne connais pas le cachalot, et je ne le connaitrais jamais. » Ite missa est. Cette plongée dans la connaissance est en parallèle une plongée dans l’écriture. De même, Melville entremêle les destins, les psychologies : tout n’est jamais trop noir, tout n’est jamais très blanc, tout en nuance. Même ce Thanatos qu’est Achab, décrit au travers des yeux de ses subalternes et collaborateurs, apparaissant tel une statue du commandeur, froid et distant, est capable d’humanité : il a une épouse et une progéniture, et puis il y a ce sursaut, ce réveil hors de la folie (Symphonie). La figure de Starbuck se trouve impuissante à s’opposer à la force délétère d’Achab, ne peut conserver l’état de normalité du capitaine fou. Ce lumineux Starbuck dont on retrouvera les traits dans un Billy Budd sacrifié.

L’on comprendra pourquoi des gens comme Giono ou Pynchon ont puisé dans cet ouvrage une force littéraire. Il en va de même pour tout amateur de lettres américaines : celui-ci ne pourra comprendre l’histoire littéraire de ce pays sans avoir réellement lu ce monument. Ainsi toute la folie postmoderne est déjà là présente en substance ! Melville navigue sur toutes les eaux de la littérature, les décomposant… non, les déconstruisant (pour employer un terme véritablement derridien ici) en un patchwork énorme de toutes les connaissances d’une époque.

Ce livre à sa sortie fut un… four ! un échec… pour comprendre l’impact de Melville il faudra attendre le XXè siècle et les grandes guerres pour s’apercevoir de la clairvoyance de Melville quant à la conduite d’un homme rongé par l’obsession, la violente vengeance, jusqu’à commettre l’irréparable. D’un autre côté, l’on se rendra compte de l’extrême humanité de Melville : en comparant les négriers à des requins. Melville aborde l’humain dans ce qu’il a de plus beau et de plus malsain (Achab délirant avec Pip : entre échanges délirants et pourtant touchants, mêmement dans les derniers échanges entre Starbuck et le capitaine). L’impact de Moby Dick et des ouvrages de Melville ne se fera connaitre qu’une trentaine d’années après son décès.

Alors lecteur, tu seras heureux de refermer ce long ouvrage requérant de l’effort mais il sera comme une bombe : peu à peu la force de ce livre va se distiller dans ton esprit, t’envahir pour ne plus te lâcher.

Cette édition a été établie à partir de la traduction d’Armel Guerne, considéré par beaucoup comme l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure. Une traduction incomparable, poétique, précise. Un livre long à faire, à corriger, faisant partie des plus beaux projets lancés avec Hermès Clandestin, notre compagnon de route. Ce livre a été créé sans polices de caractères intégrées pour l’alléger au maximum. Comme d’habitude, nous y avons apporté tout notre savoir-faire pour vous proposer un livre de qualité : un livre de cette envergure se doit d’être par un code digne de ce nom (et non une conception « calibresquement » laide).

 

C'est assez maintenant, la baleine est ici...

 

 

 



01/09/2012
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