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Louis Guilloux - Le Sang Noir

 

Un autre voyage au bout de la nuit...

 

"Je-suis-un-grand-roman-français-des années-30-qui-rata-le-Goncourt-de-peu,-qui-parle-de-la-Grande-Guerre-et-dont-l'auteur-est-un-des-grands-romanciers-du-XXe-siècle,-je-suis-je-suis..."

- "Le Voyage au bout de la nuit" de Céline?

- Eeeet non. Je suis "Le Sang Noir" de Louis Guilloux qui rata le Goncourt en 1935, trois ans après "Le Voyage au bout de la nuit" de Céline.

 

Pour autant Céline et Guilloux, ce n'est pas le même combat... Céline fils d'un boutiquier pour le moins antisémite et Guilloux fils de cordonnier socialiste... Ils suivront chacun une route toute tracée par leur origine... Alors que Céline fait voir du pays à Bardamu , Guilloux laisse mariner Cripure dans une petite ville de province jamais nommée... autrement que Bœufgorod, Cloportgorod... Alors que le Voyage est au long cours, Le Sang Noir c'est un  voyage au bout du...jour : vingt-quatre heures de la vie d'un homme. 

 

"Voici un livre de Haine qui fait la Guerre à la guerre, mais aussi aux nantis, aux notaires, aux instructeurs et aux instruiseurs, aux galonnés qui sont « tous des vaches » et à la cathédrale qui est un « gros bœuf ». Ça décoiffe, dans Le Sang noir et d’ailleurs les chapeaux ne cessent d’y voler au vent… N’oublions pas non plus la haine de la Province, qui s’élève ici jusqu’au sublime ! 

La haine n’épargne donc rien ni personne. Merlin, penseur infirme et philosophe désenchanté, claudique tout au long des rues boueuses aux façades de prison ; mais Guilloux se réserve pour lui-même le rôle d’Asmodée, le Diable boiteux, celui qui soulève les toits et montre aux jeunes bacheliers de Salamanque (et aux lecteurs du Diable boiteux) la multitude des petits drames pitoyables ou sordides dont la somme constitue la « civilisation perfectionnée », comme dit Baudelaire. Du moins les révélations de l’Asmodée ibérique étaient-elles souvent drolatiques. Mais sous les tristes toits que soulève Guilloux, comme sous des pierres humides, rien que des « cloportes »…

Le Sang noir raconte une histoire, celle de Cripure. Mais cette « journée particulière » centrée sur le malheur d’un homme est inséparable de la Grande Guerre : de l’une de ces « époques intéressantes », disait ironiquement Camus, où le malheur des hommes prend des dimensions non plus même épiques mais statistiques. C’est le temps « déraisonnable » chanté par Aragon (admirateur du Sang noir dès sa publication) : « C’était un temps déraisonnable, On avait mis les morts à table. » Guilloux, lui, met les pieds dans le plat. La guerre, c’est la foire d’empoigne, c’est l’escroquerie généralisée, c’est l’ostracisme jeté sur les insoumis ou les simples « irréguliers » ; ce sont les chantages au chauvinisme, les planques et les passe-droits, les trafics de fric et de femmes, les fricotages de décorations. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »

Temps de danse macabre. « Rigodon ! », dit Moka le fol – bien avant que Céline n’en fasse un de ses titres. Temps de bacchanale triste. La sobriété de Guilloux dans ses récits antérieurs fait place à une ébriété désespérée. Le professeur Merlin se torchonne au bistro. Le vin du patron doit valoir le calembour rituel du serveur : « Garçon ! Hop ! Un verre anjou. Feu ! » Déjà un garçon de café qui se prend pour un garçon de café : La Nausée n’est pas loin… In vino veritas ? Ce n’est pas certain. Cripure a le vin triste, mais pas particulièrement vérace. Sauf quand, « d’une voix changée », il complète et corrige Céline : « La vérité de cette vie, ce n’est pas qu’on meurt, c’est qu’on meurt volé. » La phrase figurera sur le bandeau du volume, à sa sortie. Est-ce à dire qu’une des vérités du Sang noir, c’est que Guilloux a voulu enfoncer Céline ?

(...)

Six cents pages, une seule journée. La machine est lancée, comme les convois qui dans la nuit, reconduisent vers la mort leur cargaison de permissionnaires. Ni le bruit ni la fureur n’y feront rien : le train du malheur est sur les rails. Cette bête inhumaine, Guilloux la conduit d’une main sûre, précise, un peu diabolique. Tant pis pour ceux qui se font écraser."

(extrait de la présentation de Philippe Roger in  Louis Guilloux D'une guerre à l'autre coll Quarto/Gallimard)

 

Cette édition est enrichie, de deux préfaces, l'une de Malraux qui fut un ami fidèle de Guilloux et l'autre de Jorge Semprún, pour qui Le Sang Noir est l'un des plus beaux livres de la littérature française... Enrichie aussi d'une superbe nouvelle, Douze balles pour une breloque, qui nous ramène aux fusillades des insurgés en 1917. et condamne les petits arrangements avec l'Histoire.

Enfin, deux études : l'une sur Guilloux écrivain Gallimard, une orchestration presque parfaite et une lecture parallèle du Voyage au bout de la nuit et du Sang Noir...

 

 

Voici, lecteur, de quoi perdre pied... !



18/05/2013
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